Les professionnels de l'ESSEC

Ils passent la majorité de leurs journées dans ce carrefour aussi célèbre que le Cradat à Yaoundé. A la quête du prochain client à fidéliser. Du lieu dit fin barrière Essec au « poulailler » en passant par l’entrée du stade Cicam et celle de la mairie de la cité-sic, impossible de manquer les « comptoirs » et les services des professionnels de l’ESSEC.


Un carrefour, 3 spécialités

6h45 du matin. La porte ferrée de Clairette s’ouvre. Elle adresse son plus beau sourire à ses deux premiers clients de la journée. Deux clientes plutôt. L’une, sur son trente et un est venue récupérer le dossier qu’elle a laissé pour impression la veille. L’autre, plutôt calme et patiente s’enquiert du cout d’impression de 100 cartes de visite et de 30 papiers en-tête auprès de Clairette, propriétaire d’un secrétariat bureautique. Le temps de mettre en marche « son » ordinateur, des bruits nous parviennent de l’extérieur. Il s’agit d’Edimo, voisin de Clairette et propriétaire d’une papéterie. Ses « locataires » et lui, assez matinaux,  préparent leurs imprimantes pour ne pas rater les premiers clients de la journée. Quelle que soit la nature du document, leur rapport qualité/prix sur photocopies et reliures est imbattable. Dehors, des bonjours s’échangent, des voix s’élèvent. Deux habitués renseignent une passante sur le photographe le plus rapide du carrefour. Elle y courre. Moi aussi. Tout au long du trajet, des photocopieuses, emballées dans du papier plastique sont guidées vers leur poste journalier. D’autres bureaux de bureautique ouvrent leurs portes, d’autres photocopieuses, sont « démarrées ». Le carrefour revit. Chemin faisant, nous ne cessons d’être interpellées. Ici pour des saisies, là pour des photocopies.  Et même devant le studio photo qui a été indiqué, un courageux essaye maladroitement de nous détourner de notre destination. On y est parvient malgré tout. Marcel, photographe par obligation,  règle ses objectifs afin d’immortaliser tous les instants que les clients voudront bien lui confier dans la journée. Ce rituel (ouverture, démarrage, interpellation maladroite harcelante…) est incessant de 6h – 19h voire 22h. 300jours minimum par an. Les habitués ont leurs adresses. Les novices, faute de recommandation particulière doivent trouver leur « génies » pour leurs futures photocopies, saisies et impressions ou encore photos.

 

 

Couts bas, qualité discutable

« Ailleurs ca couterait les yeux de la tête. Ici c’est de la manne » affirme Martin, un habitué du carrefour. Si les prix en vigueur au carrefour Essec défient en effet la concurrence des grands quartiers, encore faut-il avoir la meilleure adresse pour la réalisation des travaux. Quand Clairette affiche, au-dessus de sa tête la grille de prix des services proposés par son établissement, c’est pour éviter toute discussion. Ce matin là, elle refuse catégoriquement de laisser à 50f (le prix normal oscillant entre 100f et 1000F/page) l’impression couleur d’une page des papiers en-tête de la représentante de l’établissement la providence. Quitte à perdre une potentielle habituée, elle la laisse s’en aller. Risque payant. Deux minutes plus tard, la représentante revient. Elle tient en main l’impression d’un des « rivaux » de Clairette. Aucun doute possible. Celui de Clairette est meilleur.  Cette dernière sourit. Elle vient d’ajouter un nouvel habitué à sa liste.  Ils sont peu nombreux à réussir cet exploit. Les autres s’en vont et ne reviennent pas. Martin, nous raconte qu’un soir, il avait du travail à livrer. Il a confié une partie à des concurrents l’autre à Edimo. Le contraste était si évident qu’il n’a plus jamais changé d’adresse. Les perfectionnistes comme Edimo et Clairette ne sont pas légions au carrefour. Mais en raison des prix, certains usagers se contentent du peu qu’ils trouvent.

 

 

Difficultés communes

Que l’on soit propriétaire ou locataires, les professionnels du carrefour Essec vivent les mêmes réalités. Tandis que leurs locataires leur rendent compte, Edimo, Clairette et leurs semblables,  propriétaires de boutiques rendent compte à l’état. Malgré la multiplicité de nos échanges, impossible de savoir quel costume revêtir pour tirer son épingle du jeu. Les locataires, sont tenus de verser un loyer oscillant entre 10 et 15 milles à leurs propriétaires. Ce montant est fonction de l’humeur du bailleur. Les locataires d’Edimo lui versent un loyer de 10 milles. Pour l’occupation de la devanture de sa boutique. Les factures d’électricité, assez élevées pour ces camerounais sont divisées équitablement. Le kilowatt leur est facturé à 100fcfa contre 70fcfa pour le commun des consommateurs. Clairette elle a préféré ne pas louer sa devanture. Elle n’en est pas moins soumise aux contraintes imposées par l’état aux propriétaires de boutiques. Occupation temporaire de la voie publique (36milles/an), impôts catégorie B (50milles/an), Bail (qui est passé de 32 à 50 milles). Les frais de gardiennage (2000/mois), l’achat des rames de papier, des cartouches d’encre, les réparations diverses des machines ou encore les descentes surprises de la Sociladra qui récupère 5000 sur chaque machine ne sont pas en reste. Lorsque les clients et leurs mauvaises foi s’en mêlent, il est « quasiment impossible d’évaluer les revenus » nous dit Edimo.

 

Destins particuliers

« Il nous est impossible de nous organiser pour harmoniser les prix ». On a essayé plusieurs fois mais pendant que nous on reste fidèles, du côté de fin barrière ou du poulailler, ils les diminuent. On n’a pas les mêmes réalités ». Plusieurs échanges nous aident à confirmer les dires d’Edimo. Il y a ceux qui y sont par amour : Clairette a suivi une formation en secrétariat bureautique et a ouvert son secrétariat avec l’aide de son mari parce qu’elle « aimait ca ». Ceux qui y sont parce qu’ils des « businessman » dans l’âme. Edimo tenait un petit commerce au quartier avant d’ouvrir sa boutique à l’Essec. Et il y a ceux qui y sont en attendant mieux : Sammy est technicien de formation, Franklin est titulaire d’une licence en gestion, Victor est en première année de communication à l’université de Douala. Ils s’occupent, survivent, attendant impatiemment le jour ou ils pourront faire valoir leurs diplômes. Certains réussissent à trouver leur compte. En témoigne la réussite du propriétaire du snack bar « Le Cénat » au Pk8  dont ils ne se souviennent plus du nom. « On est tous de passage. Donc on n’est pas surpris de ne plus voir quelqu’un ici. Il était gérant de photocopieuse » puis a ouvert un call – box avant de changer de registre il y a plus d’un an.

 

 

L’incontournable besoin de survie

A voir le nombre croissant des « professionnels », on serait tentés de croire qu’une manne s’y cache. L’envers du décor n’est pas reluisant. Leurs revenus sont fonction du nombre de clients par jour. Et de la capacité à développer des « business » parallèles. La majorité des « professionnels » ne sont pas propriétaires de leurs machines. Ils n’en sont que les gérants. Gagnant 1500f pour chaque 10 mille travaillé. C’est avec ces 1500f (quand on arrive à les réaliser) qu’il faut : payer le bail et les charges y afférentes, payer les rames de papier, remplacer les cartouches d’encre, se nourrir,  se vêtir, s’occuper des charges mensuelles et épargner si possible.  « Etre jeune au Cameroun n’est pas du tout facile. Parce que s’il faut regarder ce qu’on gagne, on resterait chez soi. On est comme les benskinneurs (conducteurs de moto). On fait d’abord quelque chose pour ne pas rester les bras croisés ou devenir voleurs est espérant qu’un jour, les choses changent. » 


 

G Tjat

 

 



27/08/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres